samedi 20 juin 2009

IL FAUT QUE LA PLUIE VIENNE


On est le 8 juin. La lumière a quitté Moutourwa depuis une trentaine d’heures. À 21h, de grands vents se sont levés. Les nuages laissent transpercer une foule de hâlots blancs : les éclairs veulent traverser mais n’y arrivent pas. Il faut que la pluie vienne. Celle d’hier a permis à bon nombre de semer le mil rouge mais encore trop de paysans n’ont pas pu agir, l’eau ne s’ayant pas déversée également sur le territoire.

J’aime le silence de cet extrême-nord au cœur de l’Afrique. Souvent je pars marcher dans l’arrière village, à la brunante, cherchant le coucher du soleil. Je croise les femmes qui reviennent de la brousse avec des fagots de longs bois séchés sur la tête : elles pourront préparer. Un défilé de bœufs revient du pâturage, accompagnés des bergers épuisés. Je m’isole un peu et j’accueille la paix.
C’est un peu gênant de parler de spiritualité mais je me sens plus près de celle qui m’habite ces temps-ci. La proximité des gens et leur préoccupation quotidienne pour l’essentiel (l’eau, la pluie, les semences et l’argent absent) me touchent. Je me surprends à prier pour que je sois toujours aussi bien durant mon séjour ici.
Il faut que la pluie vienne. Avec ma bicyclette vers 17h, j’ai poussé du côté de Ganaan, un petit village enclavé entre les montagnes. Des gars étaient à construire un boucarou avec des briques fait de la terre d’une termitière tout près. L’un d’eux me demandait si on construisait comme ça là-bas. La maison est pour une vieille; elle était assise tout près, avec d’autres femmes et une douzaine de jeunes enfants. J’ai voulu approcher les petits mais ils se sont reculés, un peu terrorisés : le blanc ne leur rend pas souvent visite.
Je sais que je l’ai peut-être déjà dit, mais ce dont je suis témoin au Cameroun me suggère une vision de la colonisation des régions au Québec il y a soixante-dix ans. Je me dis que la difficulté de la vie pouvait se rapprocher de ce qui se vit ici aujourd’hui. La différence est qu’ici, on attend encore la révolution, tranquillement.
Il faut que la pluie vienne, qu’elle me saisisse bien fort et qu’elle me rappelle que je ne dois pas me nourrir intérieurement de la faim de mes frères…

Eh! La pluie est venue, dans la nuit du 14 au 15. Une pluie qui rappelle un 14 juillet dans un autre endroit. À 4 heures du matin, on partait déjà au champ et on attelait les bœufs. Vite, allons planter les graines(sic)!

2 commentaires:

Andrée a dit…

Salut le beau Serge !
Ici, c'était plutôt le contraire, on croyait que le soleil et la chaleur viendraient jamais !
Un peu comme les vacances qui semble toujours trop loin. Comme tu sais le rythme de travail est fou chez LaB....maintenant c'est pire ! Heureusement que début juillet j'ai 3 semaines; petit escapade quelques jours, ensuite je garde la petite chienne d'Antoine.
Ta nouvelle vie semble te satisfaire et surtout t'enrichir.
Andrée
XX

Philáchronos a dit…

Salut, Serge,

J'aime quand ton texte devient plus ethnographique comme ce dernier. En te lisant je n'ai pu m'empêcher d'aller retrouver un morceau de Tristes Tropiques, ou Lévi-Strauss fait une réflexion poignante lorsqu'il constate ce qu'étaient devenus les indigènes au moment de ses voyages au Brésil (années 30) par rapport à ce que l'homme Blanc aurait vu 400 ans au paravant. Le voici:

"Les sociétés que nous pouvons étudier aujourd'hui (...) ne sont plus que des corps débiles et des formes mutilées. Malgré d'énormes distances et toutes sortes d'intermédiaires (...), elles ont été foudroyées par ce monstrueux et incompréhénsible cataclysme que fut, pour une si large et si innocente fraction de l'humanité, le développement de la civilisation occidentale."

Il me semble que tu découvres en Afrique ce que Lévi-Strauss a découvert au coeur du Brésil: les communautés indigènes ne se sont toujours pas redressées. Et, pire encore, elles ne savent (et ne veulent) plus vivre comme les tribus qu'elles furent jadis et n'ont pas appris à vivre à la maniére occidentale. Je peux comprendre ton besoin de recueillement lorsque tu te tournes vers ce que je considère être l'essentiel de ton apprentissage africain.

Ici, tout va pour le mieux et la ville se prépare à recevoir ses festivals d'été. Adriana se porte bien, moi aussi et on t'embrasse bien fort. Estamos com saudades de você.