samedi 30 mai 2009

PETITE SEMAINE


Çà fait déjà trois mois que je suis au Cameroun, deux mois et demi à Moutourwa. Le temps passe bien vite, même si on n’a pas toutes les distractions du premier monde. Lundi, je suis allé à la fête de départ de Heīdi à Mouda, un des vingt et quelques villages de Moutourwa. Il n’y avait pas la lumière mais on avait loué un groupe (génératrice) pour la soirée : la bière était un peu chaude mais tout a été bien plaisant. Heīdi rentre au pays après neuf mois d’implication dans les écoles de son secteur. Elle a formé des AME (association mères-élèves) qui sont très dynamiques. Ces associations sont nécessaires parce que les femmes ne s’impliquent pas dans le monde scolaire, réservé aux hommes plutôt. Entre femmes, elles prennent confiance et s’informent sur des choses utiles à la maison (maladies et hygiène chez les enfants, etc). Aussi, on dit souvent que des projets menés par des femmes réussissent bien : elles s’impliquent beaucoup et on le sens du bien commun. Comme par hasard, les projets menés par une majorité d’hommes se retrouvent avec des pertes monétaires mystérieuses…
Aujourd’hui, j’ai été gâté par mes voisines. Deborah m’avait dit qu’elle préparait le « foléré » aujourd’hui et qu’elle me le ferait goûté. Tel que promis, elle arrive ce soir avec une belle assiette : foléré (feuille sauvage cuite avec oignons et sauce d’arachide) et la boule de maīs. Je commence à me régaler alors qu’on frappe : Pauline –une autre voisine– m’apporte un petit caquelon avec la viande dans une sauce à base de « gumbo » (genre de concombre mince, sans le goût de ce dernier). La viande était une partie du boyau du bœuf (pas les trippes…un artère peut-être. En tout les cas, c’était délicieux. J’ai été bien touché par la gentillesse de mes voisines. Je me promet de leur faire un pâté chinois un de ces jours.
Au travail, ça roule bien. Nous avons commencé les rencontres de zones ce vendredi, à Damaī. On est allé dans ce village en premier car il peut être inaccessible au temps des pluies. Les eaux tombées en quelques heures sont si importantes que les routes se transforment en pistes de boue impraticables; le village est alors isolé pour un temps. Damaī se divise en deux partie, Damaī Foulbe (Peuls musulmans) et Damaī Guiziga (Guiziga souvent chrétiens ou paīens). Les Peuls parlent fulfulde mais les deux communautés vivent en harmonie.
Ici l’accomodement raisonnable, ça ferait bien rire…

vendredi 15 mai 2009

LA SIMPLE VIE


On est mercredi. Il fait 34,5 degrés dans ma maison, peut-être 43 degrés dehors. Ma 3ème voisine Nama est sûrement aller en brousse ce matin semer son quart d’hectare de mil. Le mil est un genre de féculent, l’aliment de base de la cuisine locale : leur patate on pourrait dire. On le fait moudre. Ensuite on le prépare sur le feu de bois. En le mélangeant avec l’eau, on le brasse bien et il en ressort une boule de pâte que l’on sert avec une sauce à base de feuillage ou d’arachide; avec un peu de viande si on en a les moyens. En saison, on récoltera le haricot (la fève) et ce sera des protéines de plus. Les fruits de certains arbres complèteront les suppléments. La laitue que je trouve au marché est un luxe qui se paie à l’occasion.Avant-hier matin, j’ai apporté chez Nama mes restants de table pour ses cochons (pelures de carottes, bananes pourries, queues de laitues, etc.) Elle m’a remercié et a fait la remarque que ses cochons se régalaient de choses qu’elle n’avait même jamais dans son assiette… Du coup je n’ai su que bafouiller. Je me suis dis par la suite qu’elle en mettait… « un peu, un peu » comme on parle ici. Mon titre est « La vie simple » mais on est en face de la pauvreté. Une pauvreté qui nécessite beaucoup d’imagination et de temps pour préparer le seul repas complet de la journée. Le mil est engrangé pour soutenir la famille durant les mois précédant la prochaine récolte. Même si on a un petit travail, tout le monde doit avoir son champ pour survivre. De mon côté je survis très bien. Comme volontaire, j’ai eu droit à un vélo que l’on m’a amené vendredi dernier. On rit beaucoup au quartier en voyant le « nasara » filer sur son bolide. Moi je suis bien content. Je pourrai aller visiter facilement les villages. Une fois en brousse qui sait, je pourrai m’acheter un petit champ à cultiver!

LES INITIÉS


J’ai peine à savoir commencer cet article tellement le sujet vogue dans la controverse….Allons-y donc simplement.J’ai assisté ce weekend à la sortie des initiés (ou circonciés) de la brousse. Environ deux cents jeunes garçons entre cinq et quinze ans ont passé un mois et demi dans la forêt en bordure du village, pour vivre le rite de passage propre à la tradition du peuple de Moutourwa, les Guiziga. On dit que l’enfant mâle qui entre en brousse ressort « homme ».Avant l’installation au camp, les anciens sillonnent le village à la tombée du jour, attrapant les garçons non circonciés (avec l’approbation des parents). En brousse, on les circoncit et on les garde ensemble pendant environ six semaines. Durant cette période, les activités ont toutes pour but de faire que l’enfant devienne un homme responsable qui respectera ses parents et s’engagera à faire une bonne vie. Les petits dorment dehors. Ils vont quand même à l’école, mais ne doivent pas parler à personne, surtout pas avec le professeur si elle est femme. Outre la circoncision et les activités de survie, on les chicotte bien et on leur fait des brûlures aux avant-bras (six ou huit petits cercles). Côté nourriture, ce sont les familles qui voient à apporter au camp le nécessaire.La sortie est assez grandiose et c’est ce à quoi j’ai pu assister, avec mes amies volontaires Ruth et Karine. On s’est retrouvé chez Aminou à sept heures du matin : il demeure en face du boisée des initiés. Vers neuf heures, on a eu l’autorisation de s’approcher du boisée. Les tambours et les grillots (genre de flûte traditionnelle) se sont éclatés et les initiés sont apparus, tous vêtus de grands habits, avec un foulard qui leur cache le visage. La procession s’est dirigée vers la maison du chef des initiés. Là, ils se sont mis à danser, avec les mamans qui criaient, essayant de reconnaître leur petit, avec comme tout indice les yeux des garçons. Quand les enfants sont tous reconnus, ils dansent puis rentrent chez le chef pour se reposer un peu. À leur sortie, ils se sépareront en bande selon les quartiers; c’est alors la tournée. Nous, on suivra les garçons du quartier Roum, ou le petit frère de notre ami Christophe fera un arrêt à la maison de la maman. À cet arrêt, il s’agenouille devant l’entrée. La mère amène une poule que l’on égorge et qu’une jeune fille sélectionnée sur place préparera…À la fin de cette tournée, le grand groupe se retrouve sur les lieux du camp, on y amène le festin. Autour du camp se rassemblent tous les hommes du village qui ont fait dans le passé ce rite. Ils se regroupent selon l’année de leur initiation. Certains groupes se dévêtissent et se chicotent, question de se souvenir qu’ils doivent marcher droit. Nous ne sommes bien sûr pas autorisés à assister à cet étape : les non initiés restent du côté des femmes. Quand les jeunes ressortent de nouveau, les femmes et tout le village peuvent danser avec les initiés et leur chef.  Ce dernier prend alors la vedette : il a réussi à ramener tous les garçons vivant de la brousse.Ce que j’ai raconté, c’est ce que les non-initiés sont autorisés à savoir. On me dit par contre que la tradition se vit bien plus doucement qu’avant. Autrefois, on installait le camp beaucoup plus loin en brousse et il y avait moins de surveillance quand à la santé des petits. Parfois même des enfants mourraient, mordus par un serpent ou suite à des complications de la circoncision. La tradition voulait que sur le moment, le père seulement apprenne la mort de l’enfant. La mère, à la sortie des initiés, recevait à sa porte les vêtements du petit…son fils ne reviendrait pas.J’entends déjà les mots « barbaries » et « coutumes à interdire » sortir de vos pensées. C’est toujours le combat entre la tradition et la rationalité, entre l’enfant trop jeune et son acceptation par le groupe. Ici au village, les opinions sont aussi multiples. Tous ne participent pas et des enfants gardent un souvenir très amer de ce séjour en brousse. Un nombre de gars adultes me disaient qu’ils avaient fait et qu’ils en étaient fiers. Mon regard reste ambigu sur tout ça. Comme les témoignages reçus ne sont apparemment qu’une part de ce qui est « racontable », ma réserve s’agrandit sans que j’aie à imaginer le reste. Je crois que la tradition évolue avec la mentalité du village. Elle se transformera avec le cheminement des gens. L’idéal serait qu’il y ait débat entre les gens du milieu.Durant l’événement, j’ai trouvé chez les petits du groupe un air fatigué et triste. De voir leurs cicatrices aux avant-bras me crevait le cœur. D’un autre côté, la joie du village et la beauté du rassemblement valaient le déplacement. De plus, un grand nombre sont venus nous dire combien ils appréciaient que nous les blancs, on soit avec eux pour la journée.La tradition de la circoncision ne se pratique pas dans toutes les tribus de la région. Plusieurs ont des rites de passage pour les garçons; ça va du similaire à des  séjours plus courts et pour des gars plus vieux, avec des épreuves moins difficiles. Je vous laisse là-dessus. Bonne discussion dans vos chaumières, et souvenez-vous que les œillères, il faut parfois les tasser un peu…